1. En droit international, la propriété fait partie de ce que l’on appelle le statut réel, ce qui entraîne deux conséquences : l’application de la loi de situation du bien et la compétence du tribunal du lieu de situation.
Si l’on s’en tient à la seule loi applicable, le code civil de 1804 a, dés l’article 3 alinéa 2, posé la règle pour les immeubles, étendue par la suite aux meubles.
Il faut dire que les avantages de l’application de la loi de situation du bien sont évidents : cette loi concerne l’organisation de l’Etat, les richesses naturelles, mais aussi le crédit des personnes intéressées. Les créanciers, tiers et ayant cause à titre particulier, se fient et doivent pouvoir se fier à la loi du lieu de situation du bien.
2. Si la loi de situation a ses mérites, deux difficultés de nature différente se présentent.
D’une part, s’agissant de meubles corporels, le déplacement occasionnel d’un meuble dans un nouveau pays peut faire naître un conflit entre la loi de situation ancienne du bien et la loi de sa situation nouvelle. La loi du pays où se trouve le meuble au moment de l’exercice du droit réel est seule en mesure d’assurer la protection des tiers : ceux-ci ne pourront se voir opposer des droits nés sous l’empire de la loi de la situation ancienne qu’ils pouvaient, à défaut de publicité, légitimement ignorer.
D’autre part, les biens incorporels, par leur nature, ne sont pas localisés matériellement dans l’espace. Il convient donc de prévoir un autre rattachement qui ne peut être en principe que celui tiré de la source du rapport de droit, notamment la loi du contrat.
3. Ces difficultés se retrouvent toutes les fois qu’on utilise la propriété comme garantie dans l’ordre international. Ce qui est fréquent, notamment lorsqu’il s’agit de financer des biens de très grande valeur : équipements aéronautiques, navires, matériel de transport, matériel électronique et informatiques. Si ces opérations présentent de grands avantages, elles se heurtent aussi à des risques spécifiques aux opérations internationales : risques politique, financiers, de change et autres.
4. Le traitement en droit international de ces difficultés doit prendre en compte deux éléments.
Premier élément, ce sont les objectifs à privilégier : sans doute la sécurité des tiers est –elle importante, mais dans l’ordre international il faut tenir compte de la bonne foi, et en particulier, du respect de la parole donnée, et de la sécurité du commerce international. Ce qui suppose prévisibilité et transparence.
Second élément, ce sont les méthodes. Les relations privées internationales peuvent :
· soit être attribuées aux différentes lois internes par des règles indirectes, des règles de répartition, communément appelées des règles de conflits de lois. C’est là une méthode classique. Ainsi, la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles pose-t-elle des règles de conflit en ce domaine.
· soit recevoir une réglementation de fond spécifique grâce à des règles matérielles uniformes. Ces règles sont généralement élaborées sous l’égide d’organismes tels que la CNUDCI ( UNCITRAL) ou UNIDROIT.
Précisément, lorsque la propriété est utilisée comme garantie, l’on est en présence de contrats complexes, en raison du nombre d’intervenants, d’opérations triangulaires, de l’existence de contrats connexes (mandat, assurance), et les méthodes classiques ne sont pas toujours appropriées.
C’est en ayant à l’esprit ces données qu’il faut examiner successivement les deux cas d’application de la propriété –sûreté, la propriété réservée ( I) et la propriété transférée( II).
I La propriété réservée
Les deux hypothèses les plus fréquentes en pratique sont le crédit-bail international (A) et la clause de réserve de propriété ( B)
A/ Le crédit bail international
5. Une première question se pose : à quelles conditions le crédit-bail est-il international ? Le critère à prendre en compte est celui du siège social ou du principal établissement des parties au contrat de crédit-bail. Ainsi, l’opération est internationale lorsque le bailleur et le locataire ont leur résidence ou leur siège social dans des pays différents.
6. Une seconde question se pose : quelle est la loi applicable au contrat ? La réponse est à trouver dans la Convention de Rome du 19 juin 1980, qui prévoit une règle à plusieurs niveaux.
Premier niveau : les parties peuvent choisir la loi applicable à leur contrat.
Deuxième niveau : à défaut de loi désignée par les parties, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ( art. 4-1). Cette loi est présumée être celle du pays « où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle » ( art. 4-2).
7. Quelle est alors la prestation dite caractéristique, c’est-à-dire celle qui permet de distinguer le contrat de crédit-bail des autres contrats.
Dans le contexte international, la fonction financière est l’essentiel de ce contrat et la prestation caractéristique est celle de la partie qui fournit le financement, c'est-à-dire le bailleur : la loi applicable sera donc celle de l’établissement de crédit.
8. Troisième niveau : la présomption peut toutefois être écartée s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens étroits avec un autre pays.
9. Ces solutions issues de la Convention de Rome n’épuisent pas toutes les difficultés. Il faut pouvoir sauvegarder l’équilibre entre les intérêts des différentes parties à l’opération et assurer une meilleure sécurité juridique dans l’ordre international. D’où l’effort d’unification menée au sein d’UNIDROIT et qui a abouti à la Convention d’Ottawa du 28 mai 1988 entrée en vigueur en France le 1er mai 1995. Cette Convention fixe des règles uniformes applicables aux opérations de crédit-bail international.
L’opération visée par le texte est large. Il s’agit de toutes opérations sur des meubles à usage professionnel- biens d’équipement, matériel ou outillage-
10. La Convention réalise un progrès notable sur deux points.
D’une part, elle pose des règles purement matérielles relatives à la responsabilité du crédit-preneur en cas de dommages causés par le bien, aux conditions de livraison, aux devoirs d’entretien du crédit-preneur, aux conséquences de sa défaillance.
D’autre part, la sécurité du crédit-bailleur est accrue car il peut opposer ses droits aux créanciers du crédit-preneur en cas de faillite de celui-ci (art.7).
Il faut donc conseiller aux parties de modeler des conventions de crédit-bail entre entreprises d’Etats non encore adhérents sur le modèle de cette convention.
B/ La clause de réserve de propriété
11. Le débat sur l’efficacité de la clause de réserve de propriété en droit international se présente schématiquement de la manière suivante.
D’un côté, le vendeur qui a inséré une clause de réserve de propriété compte légitimement sur l’efficacité de cette clause même si la marchandise est introduite dans un pays où la clause est inconnue. D’un autre côte, les sous-acquéreurs et les créanciers de l’acheteur ne doivent pas être surpris par l’existence d’une garantie dont ils ne pouvaient soupçonner qu’elle leur serait déclarée opposable.
Face à ce conflit d’intérêts, deux attitudes sont possibles :
*Soit on adopte un esprit résolument internationaliste, et on donne le maximum d’efficacité à la clause, en dépit du passage de la frontière par la marchandise.
*Soit on privilégie un esprit plus nationaliste, en protégeant les tiers, spécialement les créanciers chirographaires de l’acheteur contre le vendeur étranger.
12. En réalité, la question se présente le plus souvent dans le cadre d’une procédure collective, lorsque la loi de la faillite entre en conflit avec la loi qui régit en principe la clause de réserve de propriété.
13. En droit français, la loi de la faillite a une force d’attraction considérable. Elle régit les principales institutions dont le jeu est affecté par l’ouverture de la faillite. Ainsi, les conditions auxquelles peuvent être revendiquées des marchandises vendues avec réserve de propriété sont déterminées par la loi de la procédure collective quelle que soit la loi régissant la validité et l’opposabilité, en général, de la clause de propriété réservée. Cette solution a ses justifications : la procédure collective repose sur l’égalité des créanciers et les causes de préférence invoquées par certains d’entre eux ne sont pas conformes au traitement collectif et à l’équilibre recherchés.
14. Le droit européen a adopté une position différente depuis l’entrée en vigueur du règlement communautaire n°1346/2000/CE du 29 mai 2000, applicable à compter du 31 mai 2002. Ce texte s’applique toutes les fois que le « centre des intérêts principaux du débiteur se trouvera sur le territoire de l’un des Etats membres, présumé situé pour les personnes morales au lieu de son siège statutaire ».
Le règlement communautaire fait une place à part aux créanciers titulaires de droit réel. Il prévoit que l’ouverture de la procédure d’insolvabilité contre l’acheteur d’un bien n’affecte pas les droits du vendeur fondés sur une réserve de propriété, lorsque ce bien se trouve, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre Etat membre. Les droits du vendeur sont préférés à la discipline collective.
15. Ces solutions sont favorables à l’utilisation de la propriété et donc au développement économique. Il faut alors souhaiter que l’évolution du droit positif à l’échelle de l’Union européenne s’étende aux procédures d’insolvabilité extracommunautaires.
II . La propriété transférée.
16. L’hypothèse sur laquelle nous allons raisonner- parce que la plus fréquente- est celle de la cession de créances à titre de garantie. En particulier, la cession Dailly (l. 2 janvier 1981, modifiée par la loi du 24 janvier 1984) dont l’attrait principal est la simplicité de constitution. Un bordereau est établi par la banque. Il suffit alors qu’il comporte certaines mentions obligatoires et soit signé par le débiteur (professionnel à qui la banque a consenti un prêt) pour être opposable aux tiers.
17. La détermination de la loi applicable à la cession de créance soulève un certain nombre de difficultés que l’on peut résoudre par application de la Convention de Rome, notamment de son article 12. Mais la convention de Rome ne règle pas tout.
*La validité de la cession de créance dépend de la loi choisie par les parties, et à défaut, de la loi de la résidence habituelle de la partie qui doit fournir la prestation caractéristique, c’est-à-dire de la loi du domicile du cédant. De plus, selon l’article 12 §2 de la Convention de Rome, « la loi qui régit la créance cédée détermine le caractère cessible de celle-ci.
*Qu’en est –il pour les effets du contrat de cession.
Entre les parties, les obligations entre le cédant et le cessionnaire sont régies par la loi qui s’applique au contrat qui les lie.
La loi qui régit la créance cédée détermine les rapports entre cessionnaire et débiteur, les conditions d’opposabilité de la cession au débiteur et le caractère libératoire de la prestation faite par le débiteur.
La convention de Rome n’a pris en compte que les relations entre cessionnaire et le débiteur cédé. Mais elle reste, malheureusement, silencieuse sur les autres tiers : un autre cessionnaire, des créanciers du cessionnaire ou du cédant. Il y a là une incertitude qui nuit à la reconnaissance du bordereau Dailly dans l’ordre international.
18. Précisément, compte tenu de l’utilité du mécanisme de la cession de créance à titre de garantie, il est apparu indispensable de mettre au point des règles de transmission des créances, parfaitement adaptée aux conditions des échanges internationaux. Ainsi, au terme d’une procédure d’élaboration qui a duré 5 ou 6 ans, la CNUDCI a rédigé un projet de convention sur la cession de créances dans le commerce international.
19. La convention vise toute cession contractuelle de créance ayant elle-même une source contractuelle, et en particulier les cessions en garantie. L’internationalisation d’une créance ou d’une cession résulte selon l’article 3 de la localisation des parties dans des pays différents.
La Convention consacre ainsi la reconnaissance de la cession en garantie. En particulier, si ce projet devait entrer en vigueur, la cession par bordereau Dailly serait reconnue dans les autres pays signataires de la Convention, ce qui constitue un progrès certain.
20. En guise de conclusion, on peut faire deux remarques :
D’une part, on observe une nouvelle fois que le droit international privé est le révélateur des évolutions du droit interne. On assiste, en effet, à un courant pour prolonger dans l’ordre international le développement de la propriété comme garantie et lui assurer une pleine efficacité au-delà des frontières.
D’autre part, pour préserver l’équilibre des intérêts en présence, tout en instaurant une sécurité dans le commerce international, un renouvellement des méthodes s’impose. Et il faut vivement souhaiter que la Chine soit, à l’avenir, partie prenante dans l’adoption de règles matérielles contribuant à l’essor du commerce international.